Voici un article d’été (il ne me reste qu’aujourd’hui pour pouvoir encore y prétendre), qui sera donc court et léger. J’ai récemment lu la BD Corps Sonores, de Julie Maroh, sortie début 2017. J’ai une vraie tendresse pour cette bédéiste, que j’ai connue en pleurant sur Le bleu est une couleur chaude (avant de repleurer comme une madeleine devant l’adaptation de Kechiche, qui n’a cependant pas grand chose à voir avec l’oeuvre de Maroh). Corps Sonores dresse un panorama de la diversité relationnelle contemporaine avec Montréal comme décor, c’est une somme de petites histoires d’amour, de sexe, d’attirance, dont quelques unes abordent le polyamour. La couverture elle-même n’est pas anodine, voir l’image ci-dessus : y figurent cinq personnages, dont trois, au centre, qui ont l’air d’être ensemble – deux s’embrassent tandis qu’une troisième a le bras posé sur l’épaule de la personne du milieu.
Sur la quinzaine d’histoires dépeintes dans Corps Sonores, quatre parlent de relations non exclusives consensuelles, non que les relations qui y figurent soient forcément de cette nature-là, mais c’est un enjeu soulevé. Toutefois, pas vraiment le temps de creuser, avec quelques pages à chaque fois, on ne fait souvent qu’effleurer les questions sous-jacentes. Une seule de ces quatre histoires est une relation polyamoureuse lumineuse, : « L’aveu », contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser. Il s’agit d’une relation entre trois personnes, qui semble à priori rentrer dans la configuration classique deux femmes et un homme, avec un couple de base auquel se serait ajoutée la troisième. Il est ici question de niveau d’engagement, et c’est très mignon.
Dans les trois autres, les choses sont plus floues, et c’est intéressant d’interroger ces limites, de s’attaquer à la mise en place des relations non-exclusives avec ce qu’elles comportent de zones grises, de douleur, dans une société où elles restent hors-normes.
« Sex-friends » met en scène deux amants, dont l’un est honnête avec ses partenaires et demande à l’autre d’en faire autant avec sa femme. Cela pose des questions d’éthique dans les relations non-exclusives : doit-on attendre de nos partenaires qu’ils adoptent la même que la nôtre ?
Dans « Polyamour, polyamitié », un homme rentre à Montréal, blessé par la proposition de sa partenaire d’ouvrir leur relation, dans laquelle ils font donc une pause. Il en parle à ses amis qui sont bien plus au fait des questions de polyamour que lui et lui font la leçon, une engeulade en résultant.
« Maladie incendie » dépeint un couple hétérosexuel dans lequel la femme est gravement malade. Une des conséquences est qu’elle vit régulièrement des histoires avec des amants sans rien faire pour préserver son partenaire de vie… cependant, Maroh nous montre que cet homme est capable d’accepter ces infidélités plus que le personnage féminin ne le croit elle-même, et qu’une ouverture apaisée pourrait être envisagée.
Pour ces deux dernières histoires, je regrette un ton trop didactique : à la fois de la part des amis du personnage principal dans « Polyamour, polyamitié » et lors d’une émission qui parle de polyamour à la radio dans « Maladie Incendie ». Sur des histoires aussi courtes, ces passages m’ont semblé un peu pesant et je pense que la narration gagnerait en subtilité sans l’aspect « je vais expliquer le polyamour à mon public qui ne sait pas forcément ce que c’est ». En tout cas, il semble y avoir une volonté de « démocratiser » le polyamour de la part de Maroh en le faisant apparaître dans ces histoires comme une option parmi d’autres, sans l’attacher à une configuration particulière, ce qui, au-delà d’une façon parfois maladroite de l’amener, est à saluer. Ici, pas de vision limitée du polyamour, pas d’image précise renvoyée, pas de polynormativité : simplement des alternatives.
En guise de conclusion, une citation tirée de la préface écrite par Julie Maroh : « Pédés, gouines, travelos, freaks, inconstants, coeurs d’artichaut, multi-amoureux et aventuriers, nous écrivons nos propres poèmes, vibrons à travers nos propres romances. Nous ne sommes pas une minorité, nous sommes les alternatives. Car il y autant de relations amoureuses qu’il y a d’imaginaires. »