Le Daim ou la masculinité toxique à son paroxysme

Affiche du Daim, avec Dujardin de face dans un poste de télévision, portant chapeau et blouson en daim.

Le Daim, c’est le dernier film de Quentin Dupieux, sorti à l’été 2019, et que j’ai adoré. Je vais bien sûr spoiler allègrement, comme toujours, donc prenez vos responsabilités. J’ai décidé de faire un article hors-série, c’est-à-dire qui ne parle pas des représentations poly, pour plusieurs raisons :
– parler de masculinité toxique sur un blog autour du polyamour, c’est pas le sujet direct mais c’est pas complètement déconnant.
– ça fait longtemps que je n’ai pas eu envie d’écrire un article d’analyse de film, donc c’est l’occasion pour me remettre en selle (…ce qui reste compliqué, j’ai pris beaucoup de temps entre le début de la rédaction de cet article et la fin).
– je crushe sur Adèle Haenel depuis plusieurs années, et j’espère secrètement qu’elle lira un jour cet article, puis, qu’éblouie par ma fine analyse, elle se saisira de mon formulaire de contact.

De quoi ça parle, Le Daim ? Georges, en errance après que sa femme l’ait quitté, commence par s’acheter un manteau en daim, et repart en prime avec une caméra. Il va s’installer dans un petit hôtel de campagne, et commence à tourner un film centré sur son blouson ; il rencontre au passage Denise, serveuse dans le bar de l’hôtel, à qui il propose de monter son film. Tout dérape quand il formule « son rêve », et fait son possible pour le mettre en œuvre : être le seul possesseur de blouson au monde. Est-ce que c’est juste une histoire absurde ? Je ne crois pas.

La masculinité toxique, véritable héroïne du film

Si la masculinité toxique était un délire psychotique, ce serait le Daim. La masculinité toxique (les normes masculines de nos sociétés occidentales patriarcales qui ont des impacts négatifs pour la société, y compris sur les hommes eux-mêmes) est déjà le meilleur terreau qui soit pour favoriser les troubles narcissiques chez les hommes. On pourrait se contenter de voir Georges, le protagoniste, comme un personnage « fou », comme l’ont fait beaucoup de critiques, mais ce serait masquer le fait que la plupart de ses comportements viennent de ce qui est encouragé par la société quand on a été élevé en tant qu’homme. Tous les curseurs sont poussés à l’extrême, certes, mais ça n’empêche pas de s’interroger sur les curseurs en question. Ce que j’ai trouvé jubilatoire, au visionnage, c’est à quel point Dupieux et Dujardin sont justes dans ce qu’ils nous montrent de la masculinité toxique. Il y a quelque chose d’éblouissant à rendre aussi bien compte d’un phénomène, d’autant qu’il est intensifié grâce à la fiction, qui permet de « partir en live », de pousser la logique jusqu’au bout. Je vais donc décortiquer les comportements de Georges par le prisme de cette masculinité toxique, qui s’incarne pleinement dans la figure du narcissique.

C’est quoi, le narcissisme ?

Dujardin face au miroir : symbole du narcissisme, partie intégrante de la masculinité toxique.

Le film s’ouvre sur Georges, dans sa voiture, se triturant le veston en tweed, qu’il va bientôt aller jeter dans les toilettes d’une aire de service, toilettes qu’il bouche au passage sans le moindre état d’âme. Ce premier acte pose immédiatement une certaine impulsivité, et une absence de considération complète pour son environnement. Après moi l’inondation. On se doute que dans sa vie, ce n’est pas lui qui nettoie les chiottes.

L’image qu’on a du narcissique, c’est en général celle de quelqu’un qui se pense parfait, au-dessus de tout le monde, avec l’idée qu’il n’a donc pas à suivre les mêmes règles que les autres. Quelqu’un qui se met en avant en permanence tout en performant la force. Mais le narcissisme (on entre dans de la théorie psy), ce serait en fait surtout le signe d’un égo très fragile, et cette fragilité doit être masquée à tout prix, auprès de soi comme du monde extérieur, car elle est telle que la moindre faille risquerait de causer un effondrement intérieur. Il faut donc, comme prévention, bâtir un rempart, une armure étanche (une « coquille », dirait peut-être Denise, la serveuse-monteuse incarnée par Adèle Haenel ?). Cette nécessité de se défendre contre autrui en permanence est bien illustrée dans les interactions de Georges avec son environnement : tout parle toujours de lui (lors de sa première rencontre avec Denis, qui discute avec une autre femme au bar, il leur demande si elles parlent de son style), y compris et surtout les regards, et tout est critique potentielle. Georges vit dans un monde dont il est le centre. Le besoin d’avoir une image de lui parfaite l’amène à une impossibilité de se regarder réellement en face, au-delà du jeu d’images, de parler de lui, et même plus, de penser ses émotions, ce qui amène nécessairement au déni et au mensonge, deux faces de la même pièce et composants essentiels du narcissisme.

déni / mensonge

Georges est en fuite : fuir, c’est refuser la confrontation, refuser de (se) voir en face. Fuir, c’est aussi un acte pas très viril, dans la représentation commune. Alors il faut masquer cette fuite, sous n’importe quel prétexte. Georges est un équilibriste qui s’appuie sur tous les objets, tous les alibis possibles pour se bâtir une autre histoire que celle d’un cinquantenaire paumé qui vient de se faire quitter par sa femme, non seulement aux yeux du monde, mais d’abord aux siens propres. Le déni le protège d’une réalité insupportable, où il n’est ni aimé, ni en contrôle. C’est un des mécanismes essentiels du narcissisme.

Georges ment beaucoup, tout au long du film, on pourrait même dire que c’est sa communication de base. Mais cette mythomanie n’est que l’autre versant de la pièce. Le déni alimente les mensonges, qui deviennent souvent crédibles à ses propres yeux : il a une facilité déconcertante à s’auto-convaincre. S’il a une caméra, qui lui est tombée dans les mains par pur hasard, c’est donc qu’il fait du cinéma. Et pas n’importe quel cinéma, s’il est réalisateur, c’est forcément de quelque chose de grandiose (ce pourquoi il s’énerve quand une travailleuse du sexe locale suggère qu’il tourne du porno).

Enfin, cette capacité au déni contribue à le rendre imperméable face à l’idée des conséquences de ses actes : il n’a jamais l’air inquiet, il n’y pense probablement pas, tout simplement. Ce sentiment d’impunité est directement lié à la vision grandiose qu’il a visiblement de lui-même – vision rendue possible par la capacité à nier tout ce qui viendrait la contredire.

violence / grandeur

Dès les premières images, il y a quelque chose d’inquiétant chez Georges. On sent la violence qui pourrait surgir à tout moment malgré la voix affable, à travers la tension dans sa mâchoire, ses petits mouvements de la bouche, comme s’il remâchait une contrariété. Cette violence en puissance se déploiera plus tard dans le film, verbalement et physiquement, prenant progressivement de plus en plus de place.

Georges est violent parce que toute remise en question de l’image de grandeur qu’il s’est constitué est insupportable, et que tout risque de critique, toute opposition, tout regard insistant, va être interprété comme tel. Soutenir le regard d’un Homme™, c’est lui déclarer la guerre, c’est faire affront à sa masculinité. C’est d’ailleurs inacceptable y compris quand ça vient d’un ado pâle et chétif : la violence est une solution qui paraît parfaitement normale à Georges, quand il s’agit de faire respecter sa virilité, on peut même dire qu’elle vient la renforcer. Son besoin de contrôle, au service duquel est sa violence, s’incarne in fine dans le délire associé à son blouson : être le seul à en posséder un, quelle preuve plus flagrante de son statut d’exceptionnalité pourrait-il demander au monde ?

Auto-érotisme et virilité

Dujardin remet la caméra à Haenel.

Le Daim, titre du film, fait donc référence au blouson en daim que Georges se procure après avoir jeté sa veste en tweed, en lâchant pour cela une belle somme d’argent (ce qui conduira à ce qu’il n’ait plus accès au compte commun qu’il partageait avec son ex). Il y a une symbolique évidente : il chercher à retrouver une virilité archétypale en s’habillant d’animal mort, pour tenter de réparer la blessure du rejet causée par son ex femme. Les femmes, dans le système hétérosexiste, ne sont pas valorisées en elles-mêmes, mais parce que, objectifiées, elles servent de valorisation pour les hommes qui les « possèdent ». Autre pendant de ce système : quand on est un homme, on érotise surtout pas les corps d’autres hommes, ce qui a un impact sur les possibilités de s’auto-érotiser (spoiler : c’est compliqué). Le blouson en daim, avec lequel Georges se trouve « un style de malade » devient un palliatif, ersatz de sa femme perdue qui lui sert à se revaloriser (le blouson, au moins, ne risque pas de le contredire ni de le quitter). Par la suite, il s’admire avec à toutes les occasions, miroirs, vitre de sa voiture ou encore de boutiques. Une fois dans sa chambre d’hôtel avec le daim, George improvise des dialogues érotisés (« tu passes hyper bien à la caméra ») entre lui et ce blouson féminisé. Il maîtrise tout, pas de dérapage possible. Lors du premier échange, il affirme très explicitement que c’est lui qui contrôle, lui qui est le patron : « je suis ton nouveau propriétaire » (en écho à ce qu’il dira plus tard à Denise : « Ton patron ? Mais c’est moi ton patron ! »). Cet auto-érotisme masculin non assumé passe par la personnalisation de l’objet. Il lui faut un intermédiaire, une médiation.

Dans la masculinité toxique paroxystique, être valorisé par l’intermédiaire d’une femme ou de son équivalent blouson ne suffit plus – il faut tout le pouvoir, une fois pour toute. Georges s’engage alors dans un jeu fini : il gagnera quand il sera le seul homme valorisé, le maître suprême, sans concurrence. Une sorte de stratégie pour s’assurer que rien d’extérieur ne puisse plus être une menace qui viendrait mettre à jour la faille interne. C’est alors l’escalade qui commence, et dans une tentative d’avoir toujours plus de pouvoir, Georges vole des blousons, de manière de plus en plus violente, tandis qu’en parallèle continue son auto-érotisation, via ses achats de plus en plus de vêtements en daim, jusqu’à en être presque intégralement couvert, dans une jubilation exponentielle. Dans le langage au moins, il y a un lien entre cet érotisme et la violence, ainsi il qualifie son style de « tuerie », ou encore déclare en s’admirant que « ça bute ».

Dans la scène finale, Georges, extatique, vêtu de daim de la tête aux pieds, demande à Denise, avec une candeur enfantine : « regarde-moi, filme-moi, filme-moi ! ». La caméra, objet de pouvoir traditionnellement masculin, est remise dans les mains de la jeune femme, qui a symboliquement et concrètement pris du pouvoir sur le film. Du pouvoir conceptuel d’abord, ayant poussé Georges à filmer certaines scènes, et financier ensuite, puisqu’elle est désormais devenue productrice du film dont elle était déjà monteuse, en amenant l’argent dont Georges était dépourvu. Il y a chez Georges une jouissance à lâcher la caméra, un érotisme qui passe par l’extérieur, sans plus besoin de s’auto-érotiser, « tout seul », tout le temps : la caméra peut aussi remplir cette fonction, caresser cette image, et provoquer un lâcher-prise. Cet autre rapport à la masculinité a à peine le temps de s’esquisser que Georges est abattu, rattrapé par les conséquences de la violence commise plus tôt, et qui visait à protéger à tout prix son image.

Denise, victime ou complice de la masculinité toxique ?

Denise (Adèle Haenel), la caméra à la main.

Denise récupère le blouson sur le cadavre tout frais de Georges, et le revêt. Cette fin semble achever symboliquement son accès au pouvoir, qui a eu lieu progressivement dans la seconde partie du film. Plus tôt, elle avait mis Georges face à ses mensonges ridicules de façon si simple et pourtant confrontante, sans être menaçante, que, pour la première fois, il les avait reconnus (« oui, je suis tout seul », pas d’équipe ou de producteurs qui tiennent), signalant la perte de pouvoir, le lâcher-prise final avant la mort (mort inévitable, résolution cinématographique, mais au-delà, seule possibilité, sans doute, pour le système-Georges qui n’aurait probablement pas tenu sans imploser).

Denise, qu’on peut par moments envisager comme une victime de Georges (il lui ment, lui « emprunte » de l’argent qu’il ne pourra jamais rembourser, se montre autoritaire et parfois agressif…) n’est pourtant pas sans responsabilité dans la violence qui s’est déployée, et s’il y a quelque chose de jouissif à la voir finalement prendre le pouvoir et la caméra, je pense qu’il est possible d’accepter cet plaisir cinématographique, tout en renonçant à cette vieille idée essentialiste qu’elle en ferait quelque chose de plus lumineux parce que ce serait une femme. Passé l’enthousiasme plus naïf du début, Denise a en effet continué d’encourager le film de Georges, son délire, son narcissisme (elle lui offre de quoi compléter sa panoplie en daim), tout ce qui est constitutif de sa masculinité toxique donc, bien après qu’elle ait compris ce dont il retournait. Elle qui avait le désir de faire du cinéma mais pas les moyens de son ambition, semble trouver une voie d’accès vers celle-ci à travers le projet de Georges. Il y a quelque chose de non assumé dans cette ambition qui doit passer à travers un homme, et en même temps, on sait bien comme le privilège masculin ouvre aussi les portes du monde du cinéma (même si, en l’occurrence, Georges n’a pas le moindre réseau). Pour qu’une collaboration artistique avec Georges soit possible, quel choix Denise avait-elle sinon faire semblant de croire à ses mensonges, accepter de flatter son ego ? Refuser de jouer le jeu de la masculinité toxique sans avoir d’abord pu construire son propre pouvoir, c’est prendre le risque d’en subir directement la violence.

À trois, on y va… ou pas

Affiche À trois on y va

Je me suis trompée sur À trois, on y va, de Jérôme Bonnel, sorti en 2015, dont je croyais à tort connaître la trame : j’étais persuadée qu’il s’agissait d’un drame polyamoureux ou une des membres d’un trouple tombait malade. Que nenni ! Le film passe tout juste mes critères grâce à sa fin, mais la majorité du temps, il traite en fait de relations adultères et non de relations non-exclusives consenties. Le pitch ? Micha et Charlotte sont en couple de longue durée et viennent d’acheter une maison à Lille. Le couple a une amie, Mélodie, avec qui Charlotte entretient une relation adultère depuis plusieurs mois. Dès le début du film, Micha flirte avec Mélodie, et ils entament une relation adultère en parallèle à la première, seule Mélodie ayant toutes les cartes en main.

L’adultère, de l’impulsion à la confusion

Le film s’ouvre sur une situation de mauvaise communication : cela fait trois jours que Mélodie n’a pas de nouvelles de Charlotte et elle décide de se rendre chez elle, où elle trouve Micha, qui vient de rentrer de voyage et lui propose de rester diner avec eux. Tout de suite, les non-dits, la gêne. Une Charlotte qui, pendant un bref moment en tête à tête, ne répond pas aux questions de Mélodie (« tu me fuis ou quoi ? »), mais l’embrasse juste après. Des corps qui agissent sans la parole, cela résume une bonne partie des situations auxquelles nous allons être confronté·e·s dans ce film qui se déroule sous le régime de l’adultère. À l’intérieur de chacun des trois binômes, tout le monde semble prendre bien soin de ne surtout jamais communiquer clairement, bien que Micha fasse de timides tentatives à plusieurs reprises, avant tout parce qu’il se sent plus coupable que les deux autres. Le réalisateur nous montre les errances de Micha qui écrit puis efface ou modifie ses textos avant de les envoyer à Mélodie, comme ce sms « nous sommes condamnés à être raisonnable », qu’il remplacera par un message qui alimente la situation d’adultère. Cela donne à voir un personnage un peu lâche, qui s’empêtre dans ses contradictions, et si des trois il est celui qui tente le plus de communiquer, sa parole devient aussi un moyen de romanticiser les choses : « Hier soir me hante. Ton silence aussi ». Il tente d’ouvrir à plusieurs reprises la discussion avec Mélodie, mais c’est elle qui en face ne verbalise pas, sorte de miroir à ce qui se passe quand elle tente de parler avec Charlotte – certainement la moins claire des trois. Le reste du temps, il n’y a pas de communication sur le fond en dehors de verbalisations hasardeuses qui sonnent mal (« alors c’est que ça, il faut que je te fuies pour que tu me rattrapes »). Tout ne semble qu’enchaînement d’événements où rien n’est pensé. Si cela se prête bien aux situations vaudevillesques – seuls moments où Bonnel tient vraiment quelque chose – en revanche c’est un peu court pour permettre une évolution des personnages quant à la situation dans laquelle ielles se trouvent.

Pour ces personnages, le mensonge semble être un choix acceptable, ou du moins pas si terrible. Charlotte et Mélodie tiennent déjà ainsi depuis plus de cinq mois, et le film laisse penser que pour Charlotte, ce n’est pas la première histoire de ce genre (« moi qui n’ait jamais su être en entier à quelqu’un »). Lorsqu’ils se revoient pour la première fois après s’être embrassés, Mélodie introduit à Micha la possibilité du mensonge comme une chose à laquelle, finalement, on se fait : « toi qu’aimes pas le mensonge, moi j’y suis confrontée trois-quatre fois par jour. Au début je me faisais une idée tellement valeureuse de ce métier… » (elle est avocate). Et ce après lui avoir dit : « je crois qu’on se doit des excuses ni l’un ni l’autre », ce qui semble signifier que d’après elle, ils n’ont rien à se reprocher. Il y a quelque chose de l’ordre du réflexe quand elle cache les photos d’elle et Charlotte avant que Micha vienne chez elle : le mensonge comme habitude. Pour Micha, c’est un peu plus compliqué ; comme on l’a vu, il essaie de communiquer, et lui qui ne vit pas l’adultère depuis des mois est chamboulé par la situation. Lors de leur première soirée ensemble, il déclare à Mélodie qu’il n’a pas l’habitude de tromper Charlotte, c’est-à-dire que ce n’est jamais arrivé. On peut quand même noter que son cas de conscience n’a pas duré, pas plus qu’il ne l’a empêché d’agir, bien qu’il le mette en avant pour s’afficher comme différent des « autres mecs ».

Micha pose sa main sur le visage de Mélodie.
Micha et Mélodie entament leur relation adultère.

Le mensonge créé une confusion des signes pour les personnages ; ainsi d’un jeu de regard de Charlotte au moment où elle chante une chanson d’amour dans un café où sont présents Micha et une Mélodie qui tente de se faire discrète. Pour qui sont les regards, le texte ? Mélodie s’enfuit à la fin de la chanson, comme effrayée d’avoir été percée à jour, que Micha ait saisi que le regard de Charlotte pouvait avoir une double destination. Confusion aussi quand Micha croit prendre soin d’une Charlotte malade, qui lui ment pour ne pas qu’il se rende compte de la présence de Mélodie dans l’appartement. L’absence de communication correcte liée aux situations d’adultères amène finalement tout le monde à avancer en équilibre précaire, dans un univers où on ne peut agir qu’en réaction (mensonges improvisés, se cacher, esquiver), et où, sans qu’on le sache, les signes ne sont plus fiables, ne laissant qu’une sensation de confusion sans possibilité de compréhension.

Mélodie, l’anti-licorne

J’en avais parlé dans mon premier article, la licorne est la figure de la femme bisexuelle qui vient compléter un couple hétérosexuel. Ici, bien que nous ayons cette configuration couple plus une troisième femme, la situation est différente. En effet, ce n’est pas le désir de l’entité couple de trouver une licorne qui amène à cette situation, mais le désir isolé de chacun des deux membres du couple pour Mélodie, et le désir de Mélodie en retour. Cela place donc celle-ci dans une position où elle a plus de pouvoir que d’habitude, puisque ce n’est pas 2+1, mais 1+1, fois trois. Quand ils sont avec Mélodie, Micha et Charlotte n’existent pas en tant que couple qui ferait jouer ses privilèges au détriment de la licorne (les situations d’adultères jouant beaucoup là-dedans, puisqu’il n’y a pas de risque qu’ils se positionnent en tant que couple par rapport à une situation qu’ils ignorent ; mais au-delà de ça, ils existent peu en tant que couple). Bien sûr, la place de Mélodie n’est pas parfaitement confortable pour autant, d’une part parce qu’elle est frustrée de la teneur de sa relation avec Charlotte, d’autre part parce qu’elle se tient au secret intégral la majeure partie de l’histoire, ce qui ne s’applique pas à la relation entre Micha et Charlotte, qui, ayant la relation originelle, ont au moins le privilège de la faire exister publiquement.

C’est Mélodie qui la première est démonstrative physiquement envers ses deux partenaires au même endroit, ce qui inverse également la logique : un couple moteur dans la recherche d’une troisième partenaire. Le temps est compté pour Mélodie : l’idée qu’elle va prochainement déménager pour raisons professionnelles la pousse sans doute a faire évoluer la situation, et le mensonge permanent semble commencer à lui peser (d’autant plus que dans son système le mensonge est lié à son travail, qui est le lieu où il faut mentir, et qu’elle vient d’avoir un problème avec un client juste avant son mouvement vers Micha et Charlotte). Elle agit cependant discrètement, comme si c’était quelque chose qui se passait sur le moment, et l’absence de clarification permet à Micha comme à Charlotte de croire que c’est spontané et non lié à une relation pré-existante de l’autre avec Mélodie. Ainsi les désirs sont révélés en permettant à chacun·e de garder la face.

Mélodie l'anti-licorne derrière un mur

Mais en vérité, ce n’est sans doute pas non plus une licorne qui cherche un couple. C’est surtout une femme attirée par deux personnes, qui, se trouve-t-il, sont en couple. Dans la dynamique de départ qui amène Mélodie à commencer sa relation avec Micha, il est selon moi important de penser à l’insatisfaction qu’elle vit dans sa relation avec Charlotte. Elle prétend vouloir avec Micha ce qu’elle voulait avec Charlotte (« juste venir t’embrasser, c’est pas très adulte ») dans une scène vaudevillesque où elle se trouve face à lui dans la rue après s’être éclipsée de leur appartement, et on pourrait l’interpréter comme étant représentatif de sa relation avec lui de manière plus générale. De plus, on se demande parfois si le couple n’aurait pas besoin de trouver sa fin sans que personne n’ose se l’avouer. Micha et Charlotte sont en couple depuis longtemps, mais leur complicité et leur intimité a l’air limitée. Les informations circulent mal : Micha s’offusque par exemple que Charlotte ne lui ai pas dit qu’elle allait être rémunérée pour chanter dans un bar. Micha doute d’ailleurs du bien fondé d’avoir acheté cette maison, et juste après s’être montré entreprenant avec Mélodie, il dit à Charlotte : « j’ai l’impression qu’elle nous porte malheur cette baraque » (ou comment se décharger de sa responsabilité…) . Ils se font pourtant des déclarations d’amour pendant le film, mais elles ne sont pas simultanées ; ils se croisent dans leur maison sans jamais aller dans la même direction, tout comme ils ne se regardent souvent pas en même temps : quand l’un rêve secrètement de l’attention de l’autre (car dans l’univers d’À trois on y va, demander semble interdit), l’autre est ailleurs. Ils le refusent dans leurs discours, mais une faille qui n’a pas de nom menace de les séparer. Au contraire, c’est souvent Mélodie qui semble faire lien entre eux, y compris visuellement : elle est au milieu lorsqu’ils commencent à faire l’amour tous les trois, au milieu aussi lors du serment à l’Église. En cela, le trio sort des représentations habituelles.

Une maïeutique du polyamour

La maïeutique, c’est le fait de poser des questions à une personne pour la faire accoucher d’une idée, un savoir au fond déjà présent mais qui devient désormais conscient et formulé. Si, en tant que spectatrice, je n’avais pas connu le principe de relation non-exclusives avant le visionnage, ce film m’aurait donné envie de l’inventer. C’est long, long, long pour un film qui dure moins d’une heure et demie, on attend que la bulle explose, que les personnages se révèlent ce qui se passe, mais rien. On n’en peut plus de se demander quand la situation va bouger, et seuls les moments vaudevillesques apportent du soulagement. Le film créé tellement de frustration, avec les trois personnages qui s’enfoncent dans leur situation en silence, qu’on ne peut que s’interroger à leur place sur ce qu’il conviendrait de faire, dans tous les moments de fuite et d’hésitations.

Charlotte Micha et Mélodie sourient

La spectactrice ira sans doute plus loin que Bonnel dans sa réflexion, car quand la situation finit enfin par se débloquer, ce n’est qu’une esquisse timide de ce que pourraient être ces trois-là ensemble : l’accouchement si pénible fait pourtant du concept un mort-né. En effet, si Bonnel nous montre une très belle scène où Micha et Charlotte embarquent Mélodie à un mariage où ils étaient tous les deux invités (sur demande de Mélodie, cela dit), exposant sans retenue leurs liens pendant la fête et sur la plage où ielles prennent un bain de minuit, c’est pour finir son film sur un goût de drame. Après moins de 48h à trois, Charlotte décide contre toute attente de s’exclure de cet amour, comme s’il appartenait à Micha et Mélodie et qu’elle même ne pouvait vraiment aimer (« cet amour vous êtes fait pour lui et il est fait pour vous »). Nous voici de retour à une image de couple, et à une hétérosexualité apparente, le film se clôt sur le visage de Micha et Mélodie, endormis sur la plage.

Le choix de Charlotte est au premier abord difficilement compréhensible – ne disait-elle pas au début du film « si au moins je me comprenais moi-même ? ». Même si on peut ergoter sur la psychologie du personnage cela m’est d’abord surtout apparu comme un choix du scénariste-réalisateur de ne pas soutenir l’idée du polyamour sous forme de trouple, qui semblait émerger naturellement de l’histoire qu’il avait décidé de nous montrer. Mais peut-être que Charlotte ne voulait pas tant un trouple que deux couples, ou du moins deux histoires séparées, et que c’est l’impossibilité à dire, à communiquer, qui les a mené là tous les trois, un peu par défaut, et que l’euphorie initiale passée, il y a quelque chose qui ne peut pas coller à ses aspirations. En fait, personne n’a souhaité de près ou de loin ce trio. C’est Micha qui est le plus clairement polyamoureux, puisqu’il affirme à Mélodie à la fois un engagement amoureux envers elle et son amour pour Charlotte, mais rien ne dit qu’une relation à trois l’enthousiasmerait réellement. Mélodie voudrait une relation engagée avec Charlotte et on ne sait au final pas bien ce qu’elle ressent pour Micha. Quand à Charlotte, on sait qu’elle voudrait rester avec Micha (elle dit qu’elle ne peut pas le quitter plus tôt dans le film, même si elle est « loin de lui ») et avec Mélodie mais sans détails sur ce que serait pour elle la configuration idéale. Lorsque Charlotte s’enfuit, laissant ces deux amours endormies, on l’entend délivrer un message éclairant en voix off : « moi qui n’ai jamais su être en entier à quelqu’un, j’ai rêvé que je vous offrais l’un à l’autre ». Pour moi, cette phrase pose Charlotte comme un personnage polyamoureux qui n’a pas compris le concept, faute d’un accès à une information qui aurait pu nourrir sa réflexion. Dans sa pensée, on voit à la fois le retour d’une logique de propriété et la présence d’une honte d’elle-même parce qu’elle aime plusieurs personnes à la fois, le contraire d’ « être en entier à quelqu’un », mythe par essence de l’amour romantique toxique. Ce n’est pas si étonnant, puisque pour les personnages, il y a eu un enchaînement d’événements qui n’a pas permis l’évolution de leur pensée. Ainsi, sans assises politique, le polyamour reste un rêve impossible. On peut peut-être retenir d’À trois on y va que trois personnes qui se désirent et s’aiment, ça ne suffit pas à faire une relation à trois, qu’il serait sans doute dangereux de voir le trouple comme la solution par défaut, sans prendre en compte les aspirations de chacun·e, et qu’une opportunité au polyamour ne suffit pas pour défaire les croyances monogames implantées par la société. De quoi donner envie de militer.

Jules et Jim, une arnaque pro-monogamie

Jules et Jim et Catherine à table : le triangle amoureux

J’ai récemment regardé Jules et Jim de Truffaut (1962). J’attendais avec impatience et curiosité de voir ce classique, cité à tout va quand il s’agit de parler des relations en dehors de la monogamie, et en particulier de trio amoureux. Quelle ne fut pas ma surprise devant ce film qui s’est révélé être très éloigné de ce que je m’attendais à voir, et que j’ai détesté.

Vision fantasmée, symbole inapproprié

Échappés de leur film, Jules et Jim semblent être devenus des figures de la culture populaire, dans laquelle ils sont un symbole de l’amour libre. Que ce soit au détour d’une conversation sur le sujet ou dans des articles de presse, on a fait de Jules et Jim des représentants de la liberté amoureuse, d’une certaine idée des années soixante et de la marginalité. Ainsi, pour parler des cafés polyamoureux, un article titre : « On a rencontré les Jules et Jim des temps modernes » (1). Elle cite le film dans : « 7 films qui prouvent que l’amour à trois, c’est possible » (2). Toujours chez Elle (Québec cette fois-ci), un test sur le polyamour peut donner comme résultat : « Jules et Jim, c’est le scénario de votre vie. La monogamie, très peu pour vous. Vous aimez aimer et il est hors de question de vous limiter. Vous passez donc votre vie à gérer votre jalousie et celle de vos partenaires » (quelle vision du polyamour !). Cela passe aussi par des captures d’écran volontiers utilisées comme illustrations, on en trouve par exemple une légendée ainsi dans un article du Nouvel Obs : « Jules et Jim, le film de François Truffaut avec Jeanne Moreau. Un hommage au polyamour. » Je pourrais continuer une longue liste sur ce mode. On retrouve souvent l’expression « véritable hymne à l’amour libre », ces mots exacts répétés dès qu’il s’agit de parler du film. À part un article de Slate, partout, on semble envisager Jules et Jim comme concept décorrélé de l’œuvre : personne n’a vu le film – ou alors, personne ne l’a compris – mais tout le monde en a une image idéalisée.

Jules et Jim et Catherine courent.
                La fameuse image utilisée pour illustrée des articles sur l’amour libre.

Du coup, qu’est-ce qui se passe exactement dans Jules et Jim ? Jules et Jim vivent à Paris, ils deviennent amis et ont de multiples amantes. Quand ils rencontrent Catherine, Jules déclare à Jim : « Pas celle-ci », après un mois à la voir constamment, et avant de l’inviter à passer une première soirée avec eux. Ils se fréquentent ensuite tous les trois, en vacances et à Paris. Quelques temps plus tard, Jules rentre en Autriche dont il est originaire et s’y marie avec Catherine, puis c’est la guerre. Lorsqu’elle prend fin, Jim vient rendre visite à Jules et Catherine. Leur couple ne fonctionne plus, elle avait pris des amants pendant la guerre et a disparu il y a quelques mois avant de revenir, surtout parce que sa fille lui manquait. Jules encourage Jim à commencer une relation avec Catherine (« si vous l’aimez, cessez de penser que je suis un obstacle »), accepte la situation sans en être heureux pour autant, et promet qu’il continuera d’aimer Catherine. Ils vivent un temps court ensemble, tous les trois plus Albert, ami de Jules et Jim et autre amant de Catherine, qu’il souhaitait épouser, mais qu’elle n’aime pas. Jim doit retourner en France pour un temps et sa relation avec Catherine se détériore, la distance et les problèmes de communication qui vont avec contribuant à compliquer le tout. Leur relation prend fin, et le jour où Jim annonce à Catherine qu’il va épouser Gilberte, avec qui il espère avoir des enfants (qu’il n’a pas réussi à avoir avec elle), elle sort un pistolet et menace de le tuer ; il s’enfuit. Quelques mois plus tard, Jim qui la croise par hasard au cinéma avec Jules accepte de faire un tour en voiture avec elle. Elle conduit et en souriant, les précipite tous deux dans le vide devant les yeux de Jules, témoin de la scène.

Certes, les mœurs représentées dans le film sont plus libres que celles de la société française de 1962, l’année où il paraît, qu’il s’agisse de la façon dont Jim gère ses amours multiples, de l’attitude de Catherine, qui n’hésite pas à vivre sa liberté sexuelle, ou encore de Jules, qui accepte la liberté de sa femme quoique ce ne soit pas la situation dont il ait rêvé. Dans cette perspective, on peut comprendre que le film ait marqué les esprits sur ces sujets, mais une mise à jour serait sérieusement nécessaire. Les moments où ils sont heureux tous les trois sont finalement très rares et à aucun moment il n’est véritablement question « d’amour à trois » dans Jules et Jim : ce sont simplement deux amis qui aiment la même femme et qui tolèrent la situation (sans joie pour Jules, avec jalousie pour Jim la seule fois où Catherine passe à nouveau un moment de gaieté en tête à tête avec Jules). Entre eux rien d’autre que de l’amitié, et on ne peut pas non plus dire qu’ils forment vraiment un ménage ensemble : Jim ne fait que séjourner brièvement chez Jules et Catherine. Rien d’idyllique dans ce que Truffaut nous montre, tout tourne rapidement au malaise, puis à la tragédie, avec cette fin particulièrement affreuse. Truffaut aurait d’ailleurs déclaré : « Jules et Jim est un hymne à la vie et à la mort, une démonstration par la joie et la tristesse de l’impossibilité de toute combinaison amoureuse en dehors du couple ». Pas la tristesse de la difficulté, non : de l’impossibilité. Il est grand temps que ce film qui se veut une démonstration qu’hors de la monogamie, point de salut, cesse d’être un porte-drapeau pour la liberté amoureuse, car il en est un bien mauvais représentant. Jules et Jim s’inscrit ainsi dans la lignée des nombreux films qui traitent les sexualités marginales par le prisme d’histoires où les héros et héroïnes déviantes finissent toujours par payer leurs écarts d’avec la norme.

Monogamie et mysogynie

Examinons maintenant d’un peu plus près le contenu du film quant à la question de l’amour libre. Jules et Jim ont une vie effectivement libérée avant de rencontrer Catherine, mais les femmes, bien qu’elles soient en général nommées, semblent être des objets interchangeables : on les voit passer à l’écran quelques temps puis disparaître. Jules parle ainsi d’un « arrivage de filles », et ce rapport aux femmes est flagrant quand, plus tard, lors du retour de Jim à Paris, quelqu’un lui présente Denise comme « une belle chose, un bel objet », « le sexe à l’état pur ». Mais si les femmes sont des objets, le désir de trouver son objet à soi semble bien présent. En sous-texte, on comprend qu’ils adhèrent tous deux à l’idée que quand ils auront trouvé la femme qu’ils veulent épouser, ils fonderont un foyer et auront désormais une vie stable. C’est d’ailleurs ce que tente Jules quand il élit Catherine comme un objet à part (« Pas celle-là, Jim ») : la femme épousable. Cette démarcation de Catherine d’avec les autres objets féminins est annoncée par l’épisode de la statue dont leur ami Albert leur montre une diapositive : un visage de femme dont « le sourire tranquille […] les saisit » au point qu’ils vont voyager jusqu’à une île dans l’Adriatique pour voir l’originale. Ils passent une heure avec la statue. Cet épisode se produit peu avant leur rencontre avec Catherine qui « avait le sourire de la statue de l’île » . « Catherine n’est pas spécialement belle, ni intelligente, ni sincère, mais c’est une vraie femme », déclare plus tard Jules. Son destin sera d’être fétichisée par les trois hommes comme la statue à laquelle Albert, Jules et Jim déclarent qu’elle ressemble. Peut-être est-ce ce qu’il faut voir d’ailleurs dans cette comparaison : la statue comme l’idéal de la Femme – une beauté mystérieuse mais inerte – à laquelle Catherine, malgré sa ressemblance supposée, ne cessera de faire défaut, d’où le tournant tragique du film.

Dans Jules et Jim, le personnage de Catherine ayant à charge de représenter le Féminin avec un f majuscule est donc condamné à n’être qu’un cliché. Femme passionnée donc femme folle, ou tout au moins, irrationnelle. La voix off ne donne pas accès à l’intériorité de Catherine, sans doute hors de portée de l’imagination des hommes qui ont produit le texte d’origine et le film, et ne fait que décrire factuellement ce qui la concerne : Catherine est femme, donc Autre. Femme-enfant imprévisible qui se travestit, saute dans la Seine, et dont le passé n’est réduit qu’à des anecdotes fantasques, des déclarations du type : « à 15 ans j’étais amoureuse de Napoléon » (un tableau qui n’est pas sans rappeler à posteriori le trope de la manic pixie dream girl). Femme capricieuse enfin, qui impulse les mouvements, les départs en vacances et les retours, prend les décisions, fait et défait les histoires d’amour, quand les deux hommes, eux, ne cessent de l’aimer. Capricieuse jusqu’à la perversité : « Jules, regarde-nous bien », demande-t-elle avant d’entraîner en souriant Jim dans la mort.

Affiche de Jules et Jim, avec Catherine
                         Certes, elle prend toute la place sur l’affiche.

Catherine, la grande absente du titre, est celle par qui l’amour et la mort arrivent et toute la part de tragédie que contient le film est présentée comme étant sa responsabilité. À Jules qui vient de lui demander son avis sur son envie d’épouser Catherine, Jim répond : « est-elle faite pour avoir un mari et des enfants ? Je ne crains qu’elle ne soit jamais heureuse sur cette Terre. Elle est une apparition pour tous, peut-être pas une femme pour soi tout seul. » – apparaît là l’idée que l’impossibilité de la monogamie est inscrite dans l’essence même de Catherine. Sans elle, en effet, la monogamie aurait été envisageable : Jules ne souhaitait que cela, et le narrateur nous dit que Jim, après l’avoir embrassé pour la première fois « se releva enchainé, les autres femmes n’existaient plus pour lui ». Mais voilà, dans la dichotomie mère ou putain, Catherine est clairement du côté de la pute – « J’ai connu beaucoup d’hommes » dit-elle à Jules avant d’accepter la demande en mariage ; et n’abandonne-t-elle pas un temps sa fille pour aller rejoindre un amant ? Tout un vocabulaire de dangerosité est utilisé autour de Catherine. « Une menace planait sur la maison », une menace sur la famille nucléaire bourgeoise quand une mère se refuse à ne vivre que dans et pour ce cadre étriqué. Catherine est également trop curieuse pour être honnête, c’est un thème qui revient plusieurs fois et qui prend tout son sens lors de la dernière conversation qu’elle a avec Jim, lorsque celui-ci évoque l’image d’une femme curieuse qui se donne au premier venu ; il lui dit alors que lui peut brider sa curiosité, mais ne pense pas qu’elle en soit capable, faisant ainsi écho à Jules qui affirmait plus tôt : « la maxime de Catherine est que dans un couple, il faut que l’un des deux au moins soit fidèle ». Tous deux regrettent cet état de fait, regrettent de ne pouvoir vraiment posséder Catherine. Ainsi « Jim ne pouvait admirer sans réserve Catherine que seul, en société, elle devenait pour lui relative » : une volonté d’isoler l’objet pour ne pas voir la personne vivante en interaction avec le monde. C’est d’ailleurs le soulagement qui domine Jules après sa mort : il « n’aurait plus cette peur qu’il avait depuis le début, […] que Catherine le trompe ». Mort de celle qui a « voulu inventer l’amour » mais échoué, faute d’être assez « humble » ; fin de la menace pour l’ordre monogame patriarcal, ce brave homme pourra à nouveau dormir sur ses deux oreilles.

Ce film n’est en rien une ode à l’amour libre, mais une bromance, comme le titre le montre, ainsi que la voix off qui déclare dans les dernières minutes : « l’amitié de Jules et Jim n’avait pas eu d’équivalent en amour ». Dans ce cadre, Catherine est avant tout un objet que leur relation amicale leur permet de partager dans une certaine mesure. Dans Jules et Jim, la liberté amoureuse vaut mieux pour les hommes que pour les femmes. Cette liberté que Catherine souhaitait réaliser entièrement et que la construction du film tend à présenter comme indésirable lui sera inatteignable dans la vie comme dans la mort, puisque son souhait de voir ses cendres jetées dans le vent est rejeté, « ce n’était pas permis ». La norme comme mot de la FIN.

(1) https://www.lebonbon.fr/paris/societe/polyamour-cafe-paris-polyamoureux-amour/
(2) http://www.elle.fr/Loisirs/Cinema/Dossiers/trouple/1962-Jules-et-Jim-de-Francois-Truffaut
(3) http://www.ellequebec.com/societe/amour-et-sexe/article/etes-vous-douee-pour-le-polyamour

Corps sonores, instantanés de la diversité amoureuse

Voici un article d’été (il ne me reste qu’aujourd’hui pour pouvoir encore y prétendre), qui sera donc court et léger. J’ai récemment lu la BD Corps Sonores, de Julie Maroh, sortie début 2017. J’ai une vraie tendresse pour cette bédéiste, que j’ai connue en pleurant sur Le bleu est une couleur chaude (avant de repleurer comme une madeleine devant l’adaptation de Kechiche, qui n’a cependant pas grand chose à voir avec l’oeuvre de Maroh). Corps Sonores dresse un panorama de la diversité relationnelle contemporaine avec Montréal comme décor, c’est une somme de petites histoires d’amour, de sexe, d’attirance, dont quelques unes abordent le polyamour. La couverture elle-même n’est pas anodine, voir l’image ci-dessus : y figurent cinq personnages, dont trois, au centre, qui ont l’air d’être ensemble – deux s’embrassent tandis qu’une troisième a le bras posé sur l’épaule de la personne du milieu.

Sur la quinzaine d’histoires dépeintes dans Corps Sonores, quatre parlent de relations non exclusives consensuelles, non que les relations qui y figurent soient forcément de cette nature-là, mais c’est un enjeu soulevé. Toutefois, pas vraiment le temps de creuser, avec quelques pages à chaque fois, on ne fait souvent qu’effleurer les questions sous-jacentes. Une seule de ces quatre histoires est une relation polyamoureuse lumineuse, : « L’aveu », contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser. Il s’agit d’une relation entre trois personnes, qui semble à priori rentrer dans la configuration classique deux femmes et un homme, avec un couple de base auquel se serait ajoutée la troisième. Il est ici question de niveau d’engagement, et c’est très mignon.

Trouple, bisou collectif

Dans les trois autres, les choses sont plus floues, et c’est intéressant d’interroger ces limites, de s’attaquer à la mise en place des relations non-exclusives avec ce qu’elles comportent de zones grises, de douleur, dans une société où elles restent hors-normes.

« Sex-friends » met en scène deux amants, dont l’un est honnête avec ses partenaires et demande à l’autre d’en faire autant avec sa femme. Cela pose des questions d’éthique dans les relations non-exclusives : doit-on attendre de nos partenaires qu’ils adoptent la même que la nôtre ?

Dans « Polyamour, polyamitié », un homme rentre à Montréal, blessé par la proposition de sa partenaire d’ouvrir leur relation, dans laquelle ils font donc une pause. Il en parle à ses amis qui sont bien plus au fait des questions de polyamour que lui et lui font la leçon, une engeulade en résultant.

« Maladie incendie » dépeint un couple hétérosexuel dans lequel la femme est gravement malade. Une des conséquences est qu’elle vit régulièrement des histoires avec des amants sans rien faire pour préserver son partenaire de vie… cependant, Maroh nous montre que cet homme est capable d’accepter ces infidélités plus que le personnage féminin ne le croit elle-même, et qu’une ouverture apaisée pourrait être envisagée.

Pour ces deux dernières histoires, je regrette un ton trop didactique : à la fois de la part des amis du personnage principal dans « Polyamour, polyamitié » et lors d’une émission qui parle de polyamour à la radio dans « Maladie Incendie ». Sur des histoires aussi courtes, ces passages m’ont semblé un peu pesant et je pense que la narration gagnerait en subtilité sans l’aspect « je vais expliquer le polyamour à mon public qui ne sait pas forcément ce que c’est ». En tout cas, il semble y avoir une volonté de « démocratiser » le polyamour de la part de Maroh en le faisant apparaître dans ces histoires comme une option parmi d’autres, sans l’attacher à une configuration particulière, ce qui, au-delà d’une façon parfois maladroite de l’amener, est à saluer. Ici, pas de vision limitée du polyamour, pas d’image précise renvoyée, pas de polynormativité : simplement des alternatives.

Personnage à lunettes qui écoute la radio : "Combien d'entre nous se sont retrouvés dans cette situation : être toujours amoureux de son partenaire mais se sentir attiré par quelqu'un d'autre, hm ?"

En guise de conclusion, une citation tirée de la préface écrite par Julie Maroh : « Pédés, gouines, travelos, freaks, inconstants, coeurs d’artichaut, multi-amoureux et aventuriers, nous écrivons nos propres poèmes, vibrons à travers nos propres romances. Nous ne sommes pas une minorité, nous sommes les alternatives. Car il y autant de relations amoureuses qu’il y a d’imaginaires. »

Apnée, où est la normalité ? D’une tentative intégrationniste à une échappée queer

Affiche d'Apnée avec les trois persos en robes de mariée

Présenté à Cannes en 2016, Apnée est composé de scénettes qui ont en commun d’avoir comme protagonistes Maxence le barbu à lunettes, Thomas aux cheveux longs et Céline la blonde désabusée (il s’agit des prénoms des acteurs, conservé pour les personnages). Le film de Jean-Christophe Meurisse, succession de petits sketchs dans différents décors, est marqué par l’origine théâtrale du réalisateur et des acteurs (la troupe des Chiens de Navarre), qui se sent aussi bien dans la construction que dans les dialogues, improvisés pendant le tournage. Une sorte de Valseuses contemporain sorti des planches. Apnée ne m’a pas particulièrement enthousiasmée au visionnage, passés les débuts : je l’ai trouvé longuet. Pourtant, il me semble qu’il offre une représentation intéressante des relations non-monogames et de leur rapport à la normalité. Finalement, pendant l’écriture de cet article et après un deuxième visionnage, le film m’est devenu de plus en plus sympathique.

NB : je spoile toujours grave, donc si ça t’embête, passe ton chemin, ou vas-voir le film et puis reviens.

Apnée, ou comment respirer quand on est queer

Le film s’ouvre sur une scène à la mairie, avec les trois personnages qui viennent se marier, tous en robes blanches. Le maire leur explique que “c’est pas possible, pas encore […] on peut pas se marier avec soi-même, par exemple” (reprenant des arguments absurdes trop entendus de la part de la manif pour tous). Céline, Thomas et Maxence sont en colère : « moi je veux de l’officiel, moi je veux liberté, fraternité égalité, d’ailleurs ça marche par trois la république ! » Ils voudraient être normaux. Céline, surtout. Elle l’exprime à de nombreuses reprises. Alors qu’ils prennent un bain dans un magasin qui donne sur la rue, elle déclare : “je veux être Madame tout le monde !”. Max et Thomas, dans le déni, lui répliquent “mais on est comme tout le monde ! Personne ne nous regarde”, alors qu’ielles sont nu·e·s derrière une vitrine, ce qui ne va pas sans étonner certain·e·s passant·e·s. Ensemble, quoiqu’il fasse, ielles ne pourront pas passer inaperçus.

trouple queer dans une baignoire

Pour rentrer dans le régime de la normalité, ielles tentent de passer différentes étapes de validation, les attentes classiques de la société envers un couple : se marier, emménager ensemble, trouver un boulot et construire des projets, faire une demande de prêt, penser aux enfants… Mais voilà, ils ne sont pas un couple, et pour eux, exister dans cette société là est une impossibilité. À la fois individuellement inadaptés (Thomas, par exemple, qui verse une larme tout en acquiesçant alors qu’il pense non, incapable de parler, devant son formateur : « vous n’êtes pas marié, vous n’avez pas d’enfants, vous n’en voulez pas. Donc, vous êtes avide de travail, par exemple ») et collectivement. Leur trouple est queer, hors-norme, et il n’y a pas de place pour eux dans cette ville. Ce n’est bien sûr pas ce que se disent les personnages, qui ne vivent pas leurs identités comme politique, mais qui le sont malgré elleux. « Le queer, c’est ce qui est anormal, étrange, dangereux. Le queer implique notre sexualité et notre genre, mais il va bien au-delà. Il incarne notre désir et nos fantasmes, et bien plus encore. Le queer est la cohésion de tout ce qui est en conflit avec le monde hétérosexuel capitaliste. Le queer est un rejet total du régime de la Normalité » ¹. Ce n’est d’ailleurs pas tant les personnages qui sont étranges que le monde qui les entoure qui est absurde, et qu’ielles mettent en lumière par des remises en cause naïves pendant la phase où ielles tentent d’intégrer ce monde capitaliste, sans succès – c’est particulièrement flagrant dans la scène où ielles visitent un appartement trop petit et trop cher. Ielles croient en fait aux promesses du monde capitaliste comme un enfant au Père Noël : « On vous donne nos rêves, et vous vous en faites quoi, vous les mettez dans des petites cases ! « , hurle Céline à son banquier. Alors, devant cet horizon urbain irrespirable, ils vont prendre l’air du large et voir ailleurs si la vie y est. Devenir-queer.

À la dérive du vieux monde

Céline, Max et Thomas donnent le frisson à cette société bourgeoise : squatteurs, on les imagine presque voleurs d’enfants quand ils se proposent comme parents d’une petite fille qui joue dans un square, avec une certaine méchanceté de la part de Céline. « Ça te dérange pas d’avoir deux parents PD ? », demande Thomas à l’enfant. « Vous voulez séparer les familles ? » interroge-t-on à la banque quand ielles présentent leur projet de parc d’attraction. Cette question de la famille est un des thèmes les plus récurrents du film, et réalisateur comme acteurs réagissent en creux aux discours nauséabonds de la manif pour tous, en le tournant en dérision à de multiples reprises. Le refus de prêt de la part du banquier marque un coup d’arrêt dans leur quête de la normalité. Ce tournant se traduit métaphoriquement par la vision brève d’un enfant qui danse devant une voiture en flammes. Si on a l’air dangereux, soyons-le pour de vrai, semble se dire le trio. Devenons des queerorists. La tentation de la criminalité est là, prendre de force ce que le monde ne veut pas vous donner. Tous les trois tentent de braquer une banque mais, il n’y a toujours rien pour eux (« on a pas de liquide ici »). Il est temps de prendre vraiment la route. Ils n’ont pas pu se marier, ne pourraient sans doute pas adopter, alors, à la place, ils vont tenter de renverser la situation et se faire adopter par un vieux couple dont la maison se trouve sur leur route. Ielles débarquent, prétendent être leurs enfants, ravivent des souvenirs imaginaires, et tout le monde se prend au jeu, créatif et moqueur : « on voulait une famille, un papa, une maman, des enfants quoi ». Jouer à la famille tradi ne les intéresse qu’un temps : le voyage continue.

Max et Thomas peignent un mec en toge au bord de la mer

Ielles finissent par le trouver, leur trou dans le grillage de la prison, dans un village abandonné en bord de mer – il ne reste que le curé et le postier, le maire leur donne les clés. Les institutions ont failli, le curé misanthrope leur confesse : « moi j’ai échoué, je n’ai pas d’amour moi ». Dans ce village, on sort vraiment du régime de la normalité, et tout devient terriblement bizarre. Queer as fuck, les y voilà. On est aussi hors du système capitaliste, le village leur est donné avec beaucoup de simplicité. À chacun·e selon ses besoins. Tout ce qu’ielles n’ont pas pu faire dans le vieux monde leur est désormais accessible : un lieu à habiter, la liberté d’aimer, de créer. Ielles vont faire les courses comme des enfants dans un supermarché abandonné et y croisent une autruche, preuve de plus qu’ici, c’est le bizarre qui règne. Et surtout, ielles vont enfin pouvoir se marier, en pantalon cette fois, dans une fête folle et décalée, mixte à de nombreux points de vue, où on danse, se bat, et colle des gens au plafond.

Quel polyamour pour ce trouple queer ?

Leur trouple est composé de deux hommes et d’une femme, ce qui, comme je l’ai relevé dans les articles précédents, est bien plus rare que l’inverse dans les représentations du polyamour. Leur trouple n’est pas non plus marqué par l’hétérosexualité, avec une Céline qui serait centrale. Il s’agit véritablement d’un trouple, 1+1+1. Chacun des trois a une relation à part avec les deux autres. Ce sont des individus qui ont choisi d’être ensemble, mais il n’y a pas de pression dans l’idée de tout faire à trois. Ce n’est pas un trouple social. On constate dans la deuxième partie du film que ce n’est pas un trouple exclusif non plus, quand Céline se rapproche du curé, ou quand Max et Thomas flirtent avec le facteur bear, dans une scène où ils le peignent et le déshabillent.

Leurs rôles au sein du trouple sont très peu genrés, et la seule fois où une attente envers Céline en tant que femme est mentionnée, elle est caricaturale (un classique make me a sandwich), et Céline la rejette. Si la scène de patin à glace qui suit la séquence d’ouverture, marque bien une différence entre elle (patins blancs, masque bleu) et eux (patins noirs, masques rouge et jaune), il me semble que dans l’harmonie qui se dégage de cette danse sur glace, cela s’efface. Corps nus, masques de la lucha libre, ce passage n’est pas codé comme sexuel. Il me semble plutôt servir de métaphore de la relation entre ces trois-là : fluide, non genrée, librement consentie à chaque instant.

Dans les diverses interviews que j’ai pu lire, j’ai trouvé peu de discours de la part de Meurisse sur le fait d’avoir mis en scène un trouple – ce n’est pas le cœur de son sujet, ils les a choisi, c’est tout. Cependant, dans une interview accordée à Tetu, il dit tout de même, et c’est très fort : « J’espère qu’on pourra un jour se marier à trois. À quatre. À cinq. Toute forme d’amour doit être reconnue, point. C’est une totale régression de voir ces porcs [de la Manif pour tous] défiler. Il y a un arrière plan très politique dans mon film, au-delà du rire. »² Mais même le mariage, une fois qu’il a eu lieu, fini par être critiqué aussi en tant qu’institution, avec les différentes attentes qu’il implique. Les personnage s’en moquent pendant leur voyage de noce en barque. Leur déconstruction des règles du vieux monde n’est pas prête de s’arrêter, et ielles sont maintenant capables d’assumer leur différence. Le film se clôt sur les trois, cramés de la tête au pied, qui remontent une foule à contre-courant, avec les passant·e·s qui se retournent sur elleux. On ne sera pas normaux, et c’est tant mieux.

trouple sur une barque

« Si nous voulons un monde sans retenue, nous devons réduire ce monde en poussière. Il nous faut vivre au-delà de toute mesure, aimer et désirer ravageusement. » « En bref, ce monde ne nous a jamais suffi. On lui dit « on veut tout, connard, essaie donc de nous arrêter ! » ¹

1 Vers la plus queer des insurrections, Fray Baroque et Tegan Eanelli, Libertalia
2 http://tetu.com/2016/10/19/chiens-de-navarre-apnee/

Expérimenter le polyamour pour une journée : Le lierre et la vigne

trois personnes de dos prises en photo à travers une fenêtre

Le lierre et la vigne : Retour à Intimatopia est un jeu de rôle grandeur nature (ou GN) conçu par Lille Clairence et organisé au sein de l’association eXpérience. Qu’est-ce qu’un jeu de rôle grandeur nature ? Je vais en donner la définition minimale que propose la fédération française de jeux de rôle grandeur nature : « rencontre entre des personnes, qui à travers le jeu de personnages, interagissent physiquement, dans un monde fictif ».

Le lierre et la vigne est un GN contemporain qui dure une journée, du lever au coucher (c’est le temps durant lequel on incarne nos personnages), est précédé d’ateliers préparatoires au jeu la veille au soir (pour se mettre en confiance, clarifier l’univers fictif partagé, négocier nos limites…), et est un jeu pour dix-huit personnages. Si j’en parle ici, c’est bien entendu parce que c’est un jeu dans lequel le polyamour a une place prépondérante. J’ai joué ce jeu en novembre, il a été depuis retravaillé, rejoué deux fois, et une version longue est en préparation. Pour écrire cet article, je m’appuie à la fois sur mon expérience personnelle en tant que joueuse et sur les documents de jeu fournis par l’organisateur (des textes qui parlent des personnages et donnent des éléments pour les jouer, c’est-à-dire ce qu’on appelle habituellement des fiches de personnages, et qui sur ce jeu sont accessibles à tou·te·s en amont).

Représenter la diversité des relations non-exclusives

câlin polyamoureux vu de dos
Crédits photo : Saki

Le polyamour et, plus largement, les relations non-monogames consensuelles, sont une des thématiques principales du jeu (la seconde étant l’art). Le GN est un loisir de niche dans lequel ce thème n’est pas commun, et encore moins en tant que thème majeur. On est donc clairement pas face à une œuvre mainstream, ce n’est rien de le dire. C’est du travail bénévole, et si l’auteur amène ce thème, c’est parce que ça le touche : il est concerné et informé sur le sujet. D’où, tadam, des représentations variées, qui se retrouvent dans l’écriture des personnages et donc dans les situations de jeu proposées.

On a ainsi, sur les dix-huit personnages : deux relations avec une personne au “centre” (une établie de longue date, une autre récente avec un personnage asexuel), un trouple polyfidèle avec l’enjeu d’intégrer potentiellement une personne en plus, deux personnages très libres qui ont entre eux une relation du type plan cul affectif mais sans être amoureux, un couple marié monogame, un autre couple monogame de fait mais libre en théorie, deux autres personnages célibataires qui ont des possibilités de développement de relations avec certains autres évoqués ci-dessus. Je n’ai jamais vu ailleurs une œuvre de fiction qui regroupe tant de configurations (poly)amoureuses différentes, même si ce n’est bien sûr pas exhaustif. Cela donne à explorer largement la question, et permet de sortir de la réduction du polyamour au modèle « un couple qui intègre une troisième personne pour tendre ensuite vers le trouple », qui est en général représenté (gloire et misère du plan à trois). Pour les personnes qui viendraient jouer sans être familiarisées avec la question, le jeu n’affirme donc pas ce qu’est le polyamour mais propose une ouverture. Un atelier en petit groupe est d’ailleurs prévu à cet égard, pour réfléchir à ce que veut dire le polyamour pour les personnages qu’on s’apprête à jouer. Une façon supplémentaire de renforcer la vision de l’auteur : c’est à toi de construire les modalités de tes relations polyamoureuses, tout le monde n’y met pas la même chose.

Dégenrer pour éviter les clichés

poneys colorés en groupe

Les personnages ont été écrits avec un genre précis, et il peut être intéressant de s’y attarder et de se demander ce que cela peut refléter des représentations de l’auteur. Ainsi, les deux trios polyamoureux avec une personne au centre sont conçus sur le même modèle : un couple marié plus une amante de l’homme du couple. Il y a bien sûr des enjeux différents entre ces deux trios, mais il est notable que ce soit ce modèle, avec l’homme au centre, que l’on retrouve deux fois. Il y a un tiers des personnages qui font partie d’un couple marié dans le lierre et la vigne, ce qui correspond sans doute à l’idée implicite de ce qu’est un couple stable pour l’auteur, qui est lui même marié. Le trouple polyamoureux est également composé d’un homme et de deux femmes, faisant écho aux structures citées ci-dessus (qui sont les plus susceptibles d’être représentées dans la fiction), et la quatrième personne qu’il est question d’intégrer est un homme. Le couple monogame est un couple gay, ce qu’on peut lire comme allant à l’encontre des stéréotypes sur la sexualité gay, le couple monogame de fait est un couple hétéro. La relation de type plan cul est hétérosexuelle. Dans les histoires potentielles qui sont encouragées par l’écriture à se développer, il y a une relation hétéro avec une femme asexuelle, et une relation entre femmes. Tel quel, on peut voir l’implicite du couple et de l’hétérosexualité qui reste le modèle prédominant dans l’oeuvre.

Cependant, ce qui est intéressant, c’est que chacun·e pourra décider de jouer son personnage du genre de son choix et en utilisant le pronom de son choix (les ateliers permettent de signifier ça au reste du groupe), peu importe ce que l’auteur a écrit. Lille prend bien soin de le préciser quand il demande aux gens d’exprimer leurs souhaits de personnages. J’imagine que cette liberté est tout de même relative, les choix étant certainement influencés en partie par le genre dans lequel le personnage est écrit, qui impacte à la fois la perception des personnages et les possibilité de projections en elleux. Ce serait intéressant de comparer, sur plusieurs sessions, les choix de personnages en fonction du genre des participant·e·s. Quoiqu’il en soit, ce dispositif permet d’aller au-delà des préconceptions de l’auteur qui ont pu se glisser dans l’écriture, en dépit de la grande ouverture dont il fait preuve. Lors de la session que j’ai jouée, il y avait une grande fluidité dans le genre de plusieurs personnages, pour plusieurs raisons : la fluidité des participant·e·s, la superposition entre l’idée du personnage écrit et le personnage vivant, en particulier quand un personnage écrit dans un certain genre était joué par une personne d’un autre genre. Ça n’a pas semblé poser problème en jeu, c’était intéressant à observer.

Créer de l’empathie envers la communauté polyamoureuse

sieste polyamoureuse plaid blanc plaid noir
Deux personnages du Lierre et la Vigne en pleine sieste.

Une des potentialités du jeu de rôle grandeur nature comme médium, c’est de créer de l’empathie pour des histoires, des situations qui ne sont pas les nôtres, en nous projetant momentanément dans d’autres vies (« anthropologie empathique », dirait l’auteur du lierre et la vigne). En cela, ce jeu est intéressant pour la communauté polyamoureuse : il donne à expérimenter ce qui n’est bien souvent que de l’ordre de la projection fantasmée (négativement ou positivement). C’est aussi une expérience qui passe par le corps, et apporte donc une forme de réflexion différente que ce que des articles sur la question pourraient susciter. Le lierre et la vigne pose des questions plus qu’il ne véhicule un message monolithique. Il n’en est que plus politique. Parmi les personnes qui se sont inscrites sur ce jeu, certaines étaient déjà sensibilisées à la question, dans des relations non-monogames, et d’autres non, et cela a pu être l’occasion d’une réflexion sur leurs modalités de couple. Qu’il s’agisse d’ouvrir ou non : le faire en conscience.

De plus, l’instruction donnée par Lille quant au ton du jeu est d’en faire un moment « feel-good », dont on ressort chargé d’émotions positives. Cela ne veux pas dire jouer quelque chose de lisse, sans enjeux, sans tensions, mais ne pas aller chercher le conflit pour construire du jeu. S’appuyer sur la joie et toute la gamme des petits bonheurs, prendre le temps de vivre, de créer, d’aimer. En matière de représentation du polyamour, voilà qui permet de s’éloigner un peu de l’équation polyamour = multiplication du drama, des crises de jalousie et autres difficultés en tout genre. Ça fait du bien, au-delà du temps de jeu.

deux personnes rient, une à une guitare

« Certains musiciens parviennent à jouer en dansant : peut-être est-ce ça, le polyamour. L’apprentissage de l’harmonie dans des mouvements qui par nature sont différents – le voltigement précis des doigts et le bondissement calculé des pieds. » ¹

1. Extrait de la conférence gesticulée sur le polyamour, écrite par Axiel Cazeneuve pour le personnage de Mark et influencée par la fiche de personnage écrite par Lille Clairence, Le Lierre et la vigne deuxième session.

You Me Her : les polyamateurs

Vignettes photomaton du trouple de you me her

You Me Her (Toi, moi et elle en français), dont la première saison a été diffusée en 2016 de l’autre côté de l’Atlantique et est maintenant disponible sur Netflix, est présentée par son créateur John Scott Shepherd comme la première série qui parle de polyamour : on a jamais vu ça, on ne peut pas passer à côté. Voyons-voir comment John en parle, du polyamour (je vais rentrer dans les détails, si tu as un problème avec le spoil, ne lis pas la suite !) .

Le pitch : découverte accidentelle du polyamour

Les Trakarsky, parfait petit couple bourgeois approchant la quarantaine, ne baisent plus beaucoup, mais voudraient avoir un enfant. Sur conseil du frère de Jack, celui-ci engage Izzy, une jeune étudiante en psycho qui est aussi escort, pour “rebooster sa libido”. L’entrevue laisse Jack troublé : il ressent quelque chose pour elle et elle-même ne semblait pas indifférente…Ce qui commence comme une histoire d’infidélité va très vite prendre un autre tour car Jack en parle à sa compagne Emma dès le lendemain. Celle-ci décide de contacter Izzy de son côté. Là aussi, boum, attirance réciproque (mais on peut jeter la vérification du consentement avec l’eau du bain). Entre ces trois-là, c’est le début d’une histoire d’amour chaotique.

Couple cherche licorne sans engagement, payable en trois fois sans frais

Quand on parle de licorne dans le cadre de relations non-exclusives, il faut entendre une personne bisexuelle (qui s’avère souvent être une femme, mais on y viendra tout à l’heure) qui va “compléter” un couple (en général hétérosexuel). Izzy, dans cette histoire, c’est la licorne. Si la licorne est un animal rare en voie de disparition, dont certain·e·s pensent même qu’il n’existe pas, c’est parce qu’en général, la licorne est un animal maltraité, et Izzy ne fait pas exception.

Penchons-nous une seconde sur le titre. You Me Her. Trois pronoms pour trois protagonistes. “Her” ne peut pas être Jack et il est clair que “you” et “me” font référence au couple. Her, elle, c’est Izzy, la pièce rapportée. L’utilisation du pronom instaure la distance et est révélatrice du schéma qui nous sera présenté dans la série : 2+1. Une relation primaire au centre.

Izzy la licorne de You Me Her
Izzy de You Me Her

Ce qui me semble particulièrement révélateur des rapports de pouvoir inégalitaires dans la relation, c’est le fait qu’Izzy soit escort. Cela exemplifie les problèmes qui peuvent exister autour de l’archétype de la licorne. Après leurs premières entrevues respectives, quand Izzy débarque chez Emma et Jack, que tous passent une bonne soirée et ont l’air d’accord pour continuer de se voir, Emma, prise de panique devant ce qu’elle ressent, remet l’argent sur le tapis comme une façon de montrer à Izzy quelle est sa place (Izzy feint que c’est bien ce qui était prévu mais quitte presque immédiatement les lieux). Ils décident d’un contrat d’un mois et lui font une avance par chèque. Placer cette relation dans le champ des échanges économico-sexuels, c’est une façon d’éviter de s’engager émotionnellement, en la considérant avant tout comme un objet dont eux, en tant qu’entité couple, vont faire usage. Puisqu’ils sont dans une relation de service (sexuel et émotionnel), puisqu’ils sont clients, cela les soulage donc de la nécessité d’avoir de la considération pour ce que ressent Izzy. Le personnage est pourtant présenté comme une jeune femme paumée avec une forte consommation de psychotropes (alcool et weed) et cela rend à mon sens l’abus d’autant plus flagrant (mais il est vrai qu’Emma et Jack semblent être également alcooliques, ça ne leur paraît peut-être pas choquant). Tout au long de la saison, l’argent est un levier à disposition d’Emma et Jack pour mettre Izzy à distance et protéger leur couple. Au fil des épisodes, on nous montre des allers-retours entre relation tarifée et relation non tarifée. Lors d’une soirée chez eux, Izzy arrive et déchire le chèque devant eux en leur disant que maintenant, c’est une vraie relation ou rien. Elle a bien compris l’enjeu et l’arnaque que ça constitue pour elle. Ils acceptent momentanément mais pour mieux y revenir plus tard quand ils se sentiront à nouveau en danger. Eux peuvent se soutenir mutuellement. Il n’est jamais question de rupture ou de remise en question de leur couple. Izzy, elle, doit faire face à ses tourments sentimentaux seule, même si Nina, sa colocataire et amie, est là pour l’épauler. Izzy finit d’ailleurs par penser que c’est elle, le problème, plutôt que la situation inégalitaire dans laquelle elle se retrouve : elle décide de retourner chez sa mère pour régler les problèmes qu’elle a avec elle, persuadée que les difficultés qu’elle rencontre avec Jack et Emma sont le symptôme d’un problème plus profond chez elle. Vous avez dit toxique ?

Le trouple à deux femmes, version acceptable du polyamour

Jack à gauche, Izzy au milieu regarde Emma sur sa droite

Il s’agit de la représentation qui met le moins en danger les normes sociales. D’une part, le couple solide reste le point de départ, l’unité familiale minimale. D’autre part, deux femmes et un homme est la combinaison la plus acceptable : pas de risque de remettre en cause la virilité du personnage masculin avec des soupçons d’homosexualité. Deux femmes et un homme, voilà qui est valorisant pour l’homme (devinez qui est au milieu sur l’immense majorité des images de promotion), tandis que les relations entre femmes restent encore largement présentées comme un eye candy, même dans de respectables productions cinématographiques (je pense ici très fort à un certain baiser dans le surévalué Birdman), quelque chose qui excite les hommes et où ils peuvent, après tout, trouver leur place (car qu’est-ce que du sexe sans bite, je vous le demande). Cependant, là où la série se montre plus solide que ce que je pensais, c’est dans la représentation de la relation entre Emma et Izzy. Il ne s’agit pas pour elles de simplement s’embrasser lors de plans à trois, on nous montre une véritable attirance entre elles. Les deux sont bisexuelles et on nous apprend en même temps que Jack, qui ne le vit d’ailleurs pas très bien, qu’Emma a vécu plusieurs histoires avec des femmes dans sa jeunesse. Il est d’ailleurs notable qu’au départ, chacun doit voir Izzy séparément sans que la notion de trouple soit présente ou même envisagée. Ce n’est que plus tard qu’il va s’agir des trois ensemble. Emma se bat d’ailleurs avec Jack pour être la première à sortir avec Izzy et elle prend clairement énormément de plaisir à cette soirée. Il y a une certaine égalité de traitement dans les relations Jack-Izzy et Emma-Izzy. Izzy n’est pas attirée plus par l’un que par l’autre, bref, elle n’est pas bicurieuse, mais bel et bien bisexuelle.

La polyphobie, rappel à l’ordre sexuel

Vous connaissez l’expression “le clou qui dépasse appelle le marteau” ? C’est exactement ce que tentent de faire tous les proches d’Emma et Jack dès qu’ils ont vent de la situation. Le frère de Jack devient violent, met une baffe à son frère en lui disant qu’il fait n’importe quoi (laisser sa femme sortir avec une autre femme, franchement ?). La meilleure amie d’Emma, qui est aussi une voisine, l’écoute d’abord d’une façon qui peut sembler empathique, mais très vite, quand des sentiments sont clairement impliqués, elle tente de forcer Emma à appeler Izzy pour la quitter. Emma s’enfuit en courant. Plus tard, elle lui fera une scène en lui disant qu’il est hors de question qu’il se passe des choses pareilles dans le quartier où elle élève ses enfants. S’il ne s’agissait que de sexe (tarifé), passe encore ! Mais accueillir une troisième personne au sein d’un couple, quelle folie ! C’est d’ailleurs un véritable vent de panique qui souffle sur le voisinage (à un point tel que la situation en devient absurde). Une véritable surveillance se met en place : Emma et Jack sont désormais suspects et tout le monde se sent responsable du retour à l’ordre sexuel dans le quartier. La polyphobie à laquelle ils font face peut sembler exagérée, mais me semble toutefois représentative de la réalité, pour avoir eu des anecdotes de réactions très violentes dans mon entourage.

Jack se tient la tête dans la main, Izzy le regarde

Screw your status

La polyphobie véhiculée par leur entourage est intégrée par le couple, Emma et Jack reprenant facilement leurs mots, ce “bon sens social”, pour les recracher à Izzy. “On a des choses à perdre”, s’exclame Emma. Comme si Izzy, elle, n’avait rien. Renvoyée une fois de plus à un statut d’infériorité. Quand tu es jeune, peu assurée malgré les apparences, et escort par-dessus le marché, on ne te prend pas en compte. Mais paradoxalement, cela lui donne de la liberté. Les deux autres, englués dans la peur de perdre leur statut de couple bourgeois en pleine ascension sociale dans une banlieue chic, se prennent de plein fouet la critique sociale. On ne se déconstruit pas en une semaine, et s’ils se comportent très égoïstement à plusieurs reprises avec Izzy, on peut reconnaître à ces personnages que, dans la temporalité de la série, tout va beaucoup trop vite pour prendre du recul. De plus, ils sont l’objet d’un chantage de la part de la fille de leur voisine d’en face, qui peut peser sur leurs avenirs professionnels à tous deux. Lâcher ce qu’on construit depuis des années, surtout quand on a fait de son statut social un enjeu aussi fort, ce n’est certainement pas facile. Tout cela se débloque lors de l’épisode final où Jack prend la voie libératrice de refuser la position de Doyen qu’il briguait et qui constituait un moyen de pression possible sur lui. Il démissionne par la même occasion de son poste actuel, et part retrouver Emma qui sait bien quel est l’enjeu : Izzy, avec qui ils vont tenter de recoller les morceaux, maintenant qu’ils ont vécu un processus de déconstruction et de renoncement social en accéléré.

le trouple de You Me Her

Andy, Nina, Izzy : le trio parallèle

Avant de conclure, je voulais ajouter quelques mots sur les autres représentations de relations non exclusives qui nous sont montrées dans la série. Au départ, Izzy a dans son viseur Andy, autour de qui elle tourne depuis des mois, et réciproquement. Izzy est sincèrement attirée par Andy, mais pas suffisamment pour réussir à se rendre disponible pour lui, et elle ne cesse de le planter de façon peu élégante. Après la fois de trop, Andy vient chercher du réconfort auprès de sa coloc’ Nina, armé d’une bouteille de vodka (décidément, l’alcoolisme est le trait commun de tous les personnages). Ils couchent ensemble. Nina en parle dès le le lendemain à Izzy, qui, énervée, lui reproche d’avoir brisé la règle de la coloc entre filles (aka on ne baise pas la target de son amie). Elle se bagarrent pour éliminer la tension, mais assez amicalement malgré tout, et cela ne cause pas de rupture amicale ou de drama à long terme entre elles comme on peut avoir l’habitude d’en voir. Au fond, ce n’est pas très grave et Izzy sait bien que vu le manque de considération dont elle a fait preuve envers Andy jusque là, ce serait mal venu d’en faire des tonnes. J’ai trouvé ça intéressant du sortir du cliché de la trahison entre filles et de dédramatiser le truc. On sent bien que la question de la possession n’est pas en enjeu ici. La relation Izzy-Nina passe avant. D’ailleurs, sans vouloir poser une étiquette, j’y ai perçu un peu plus qu’une “simple amitié” : il y a une véritable tendresse entre elles, y compris physique (elles s’endorment enlacées), un soutien fort de la part de Nina, et une détresse réelle quand Izzy décide de quitter la coloc’ pour retourner chez sa mère.

Nina et Izzy sont sur le canapé de la coloc, Izzy contre Nina
Nina console Izzy.

Si You Me Her représente la forme de polyamour la plus socialement acceptable, la série évite cependant astucieusement de sombrer dans le cliché. De plus, elle met en lumière la problématique des relations asymétriques quand on pense en terme de relation primaire et secondaire. La diffusion de la saison 2 ayant commencé il y a peu aux États-Unis, je suis curieuse de voir comment le sujet sera traité, les premiers enjeux de statut étant réglés. J’aimerais voir abordée la gestion du quotidien, puisque la fin de la saison 1 laisse penser qu’ils vont s’installer ensemble.